Chiang Rai : l’illusion du privilège

Après être redescendus sur Chiang Mai avec nos deux compagnes de route, Elodie et Marie, nous avons réussi à attraper un bus pour Chiang Rai. Si Martine s’est retrouvé à côté d’un gentil papi japonais, Raymond a quant à lui eu la chance de s’asseoir à côté de Diamant, un étudiant en école bouddhiste (robe orange à l’appui). Deux heures de conversation avec ce jeune homme de 23 ans dont le rêve est de devenir steward, d’apprendre le français, l’allemand, l’espagnol et le japonais, de voir le monde et d’apprendre, toujours apprendre. Raymond et lui ont parlé de tout, de bouffe, d’agnostisme, de bouddhisme, de langues, de voyage, de la Thaïlande bien sûr, de Chiang Mai et Chiang Rai, du temple blanc… Une belle rencontre. La traduction de son pseudo facebook ? « La cible est touchée », tout est dit.

Arrivés à Chiang Rai, nous dénichons la bonne guesthouse. Sans qu’ils aient beaucoup à insister, nous décidons de faire un tour d’une journée avec un guide freelance de leur connaissance. Le programme de la journée, et c’est tout l’intérêt de la chose, se fera selon notre choix. Pas d’éléphants, pas de cascades, pas de femmes-girafes. Le lendemain matin, Chai vient nous chercher en 4×4 et nous emmène sur les pistes à la rencontre de trois des ethnies qui peuplent les flancs des montagnes autour de la ville.

Nous débutons par les hautes maisons sur pilotis et les rizières sèches et abruptes des Lahu, une ethnie originaire de Chine qui a transité par la Birmanie avant de s’installer essentiellement en Thaïlande, sur une période allant de 1875 aux années 1950. L’immersion n’est pas des plus simples, et même si le cadre n’a rien de factice (ces hommes et ces femmes vivent bien sur ce flanc de montagne), il est difficile de s’ajuster, d’ajuster son regard et le leur.

Nous redescendons au bord de la rivière Nam Kaek jusqu’à un premier village Akha, accueillis par la pluie et une belle grand-mère à la bouche rougie de bétel. A cause du temps, nous ne croisons pas grand monde, mais cela ne nous empêche pas d’admirer les maisons sur pilotis aux toits sculptés et l’église incongrue qui dresse sa croix au milieu des bananiers.  Comme les Lahu avec « Gui’cha », les Akha vénèrent (ou vénéraient) un être suprême, « Apoe Miyeh », ce qui a sans doute favorisé la christianisation de bon nombre de villages. Les Akha sont descendus du Tibet au début du 20è siècle et constituent l’un des groupes les plus connus et les plus étudiés de la région. Les coiffes de grelots et de pièces des femmes, l’indigo de leurs tuniques, le coton multicolore des ceintures ont depuis longtemps attiré l’attention des chercheurs autant que des touristes.

Nous partons ensuite pour un village Lisu. Pour l’atteindre, nous nous arrêtons dans un village de réfugiés chinois du Kuomintang. Rien à voir avec celui situé près de Pai. Là encore, de « vraies » maisons, et une vraie plantation de thé qui s’étale, s’étage à flanc de montagne. En remerciement de leur lutte contre le trafic d’opium, le gouvernement leur a accordé la nationalité thaïe, ainsi que la propriété de ces terres.

En face, sur l’autre versant, les Lisu ont décidé d’installer leurs maisons basses, au sol de terre battue. Pour l’atteindre, ça grimpe sec dans la boue. D’après Chai, la cohabitation avec les Chinois n’a pas toujours été pacifique, mais se déroule à présent sans heurts. Sans doute les Lisu, installés en Thaïlande depuis le 18è siècle en provenance de la Chine et du Tibet, ont-ils eu quelques difficultés à accepter l’arrivée des partisans de Chang Kai-Chek. Parvenus au sommet, nous sommes accueillis par un groupe d’enfants qui délaisse le pot de crabes qu’ils s’amusaient à dépiauter (ou à torturer ?). Au bout du village, nous pénétrons dans une maison « traditionnelle » équipée d’une bouilloire et d’un beau frigo. Deux femmes d’une touchante beauté nous offre le thé, que nous buvons au ras du sol avec elles. Nous y restons aussi longtemps que possible, tant nous nous y sentons bien. Au moment de partir, Elodie décide de donner 50 baths à la plus âgée, qui recule, met de longues secondes à se décider, puis, d’un geste plein de pudeur, finit par accepter le cadeau. S’ensuit une litanie de « sankyu » (thank you) et de serrages de main, le tout illuminé de sourires. A regret, nous rebroussons chemin et redescendons la pente glissante qui nous ramène au prosaïsme de nos estomacs vides.

Le repas avalé, nous repartons pour un second village Akha. A droite de l’entrée, la balançoire cérémonielle sur laquelle les jeunes célibataires se rencontrent une fois l’an et se choisissent un époux. A gauche, la porte des esprits, une série de porches de bois décorés d’étoiles en bambou, par laquelle il faut passer en quittant le village, sous peine de subir les foudres des esprits. Animistes, certes, mais chrétiens également, en attestent les croix que les femmes portent en sautoir. Chrétiens, certes, mais animistes toujours.

A notre arrivée, un groupe d’hommes s’affaire autour d’un feu de bois et de bouteilles en plastique. Lorsqu’ils s’écartent, ce sont trois poulets, un cochon et un chien égorgés, couchés les uns contre les autres, qui nous accueillent. Derrière eux, sur un tabouret, psalmodiant d’une voix monocorde, le chaman essaie d’attirer l’attention des esprits pour qu’ils guérissent le frère de l’un des hommes. Celui-ci, nez percé, casquette vissée sur la tête, nous explique le rituel qui s’achèvera par la consommation des animaux sacrifiés. Il semblait inquiet pour son frère et n’avait pas lésiné sur les offrandes pour garantir son rétablissement. Nous sommes restés un long moment à discuter et à observer le chaman.

Les filles ont également pris un cours de négociation en langue akha, Chai aussi perdu qu’elles, mais essayant tant bien que mal de les aider à obtenir les colliers et bracelets d’argent que leur proposaient deux femmes aux dents taillées en biseau et qui parlaient autant thaï que nous lituanien.

C’est à contrecœur que nous les avons laissé, et si nous l’avions pu, nous y serions restés.

Nous avons fini la journée par la visite du Wat Rong Khun, le temple blanc qui fait tant polémique et dont la construction débutée en 1997 ne s’achèvera que quand elle s’achèvera, Bouddha sait quand. C’est un ensemble complètement barge où Batman et Hellboy côtoient Ganesh et l’Eveillé sous les yeux d’un Predator. On vous laisse constater par vous-même.

P.S.: Bon, depuis qu’on est chez les cocos, on a du mal avec Internet, du coup la publication des photos pose problème. Nous sommes pour le moment à Vang Vieng, et partons demain pour un loong voyage jusqu’à Pakxe. On essaiera de vous causer de la descente du Mékong et de Louang Prabang quand on sera posés à Don Det, d’ici une semaine. On croise les doigts, ne vous en faites pas pour nous.

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